Mohamed avait 7 ans lorsque son arrière grand-père est mort. Une profonde affection liait le vieil homme à cet enfant. Mohamed, l'ancien, aimait l'aine de sa lignée, il lui avait appris à faire des pièges pour les oiseaux, tirer au lance-pierre, pécher dans les rivières. Il lui avait aussi enseigné les alphabets arabe et cyrillique, si bien qu'en arrivant à l'école ses professeurs furent surpris par les connaissances de ce jeune enfant, mais pas si surpris lorsqu'ils surent de qui il était l'arrière petit fils.
En effet, le vieil homme était respecté dans son village pour sa générosité, sa sagesse et ses réelles convictions religieuses. Au retour de la guerre, il n'avait pas hésité à distribuer ses biens pour venir en aide à ses amis, ses voisins et les autres villageois. Il avait passé sa vie ainsi, à dépenser ce qu'il gagnait comme si ça ne lui appartenait pas. Il était vieux et ne possédait presque rien malgré les succès et les bonnes affaires dont ils avaient jouis durant toute sa vie.
Mohamed aimait se promener avec lui, une grande fierté l'habitait quand les passants saluaient avec déférence cet être cher qui lui tenait la main.
Un matin, le vieil homme se leva fatigué, les articulations plus raides et douloureuses que d'habitude, les travaux d'une longue vie de labeur avait eu raison de la souplesse et la vivacité de son corps pour solide et résistant. Une grande lassitude envahissait son être tout entier.
L'enfant comme tous les matins venait saluer son arrière grand-père. Ce matin la, le vieil homme lui dit : "Mohamed, il est temps pour moi de mourir, j'ai travaillé toute ma vie, si durement et depuis l'âge de 8 ans. Mais je ne peux pas mourir aujourd'hui car je dois encore t'apprendre ce que la vie m'a appris. Il faut que tu me promettes de ne jamais oublier ce que je vais t'apprendre sur la vie, les hommes et dieu".
Et ainsi tous les matins, le vieil homme se levait toujours plus fatigue et plus las, mais tous les matin il répétait ces phrases a son arrière petit fils : "Mohamed, il est temps pour moi de mourir. Mais je ne peux pas mourir aujourd'hui car je dois encore t'apprendre ce que j'ai appris dans ma vie. Il faut que tu me promettes de ne jamais oublier ce que je vais t'apprendre sur la vie, les hommes et dieu".
Il asseyait l'enfant près de lui et lui transmettait son savoir et sa sagesse.
Il lui apprit que ses ancêtres furent massacrés à Merv. Il lui expliqua que Merv était alors une ville immense et splendide, qui possédait plus de 200 Madrasas, de magnifiques mosquées, et que tous les voyageurs et commerçants admiraient sa beauté. Il lui raconta comment Genghis Khan, célèbre conquérant mongole exigea de ses ancêtres un tribu ex
orbitant d'or et de grain mais surtout les plus belles jeunes filles de la ville. Ses ancêtres s'opposèrent à cette demande. Pendant trois, il n’entendirent plus parler de Genghis Khan. Un matin, Tolui, le plus brutal des fils de Genghis Khan arriva au porte de la ville à la tete d’une armée brutale venue rayer Merv de la carte. Les soldats mongoles envahirent les rues et tuèrent un à un ses habitants, détruisant les palais et les mosquées. Chaque soldat tua chacun, au sabre ou au couteau, plus de 300 habitants, hommes, femmes ou enfants.
Les quelques rescapés revinrent dans la ville dévastée, n'eurent pas le temps d'enterrer leur morts, que leurs tortionnaires réapparurent pour achever ce qu'ils n'avaient pas terminé. Il lui raconta comment, le sultan Sanjar mourut d'un arrêt du coeur quand il apprit l'horrible ravage. Le mausolée de cet homme trône aujourd'hui au milieu d'une immense étendue entourée des vieux murs toujours debout de Merv, comme pour rappeler au monde ce qu'il s'est passe ici.
Mohamed l'ancien lui enseigna aussi la générosité, lui expliquant que les biens sont le fruits du travail mais non sans la volonté de dieu. "Dieu donne ou reprend. Le fruit du succès ne t'appartient pas, il doit servir ta famille, tes amis et tes voisins. Alors Dieu t'en donnera à nouveau. Il en a été ainsi pour moi".
Et ainsi pendant trente jours, Mohamed l'ancien enseigna Mohamed le jeune, lui faisant promettre de ne rien oublier. Le trentième jour, le vieil homme eut du mal à se lever, il appela son arrière petit fils et lui dit : "Mohamed, il est temps pour moi de mourir. Mais je ne peux pas mourir aujourd'hui. Il me reste une dernière chose à t'apprendre".
Alors il prit son souffle et réfléchi quelques instants comme pour chercher les mots justes et raconter à cet enfant ce que depuis si longtemps son esprit et son âme gardaient enfoui au fond de lui même.
"Mon petit et très cher Mohamed, ce que je vais te dire est la chose la plus dure que j'ai à te conter. Il est dans la vie d'un homme des périodes sombres dont il doit se libérer avant de mourir.
Je t'ai déjà raconté la grande guerre dans laquelle je me suis enrôlé pour défendre l'URSS. J'étais fier de partir et de me battre pour cette nation. J'ai laissé ma famille non sans bien, nous avions certainement le plus grand troupeau et les meilleures terres de la région."
Le vieil homme raconta la guerre, puis dans le détail la défense de Stalingrad, le froid, la faim, la boue et la peur de la mort mais aussi le courage de certains, la force de caractères d’autres sur ces champs de bataille.
Puis il repris "Mohamed, j'ai tué des hommes, de nombreux hommes sans compter et sans jamais le regretter. Nous avons eu plein des victoires, puis nous avons avancé, toujours plus vite pour arriver les premiers à Berlin. L'euphorie de la victoire nous rendait fous.”
Le vieil homme s'arrêta un long moment, puis reprit :
"Un soir, je marchais dans une ruelle de Berlin, nous avions bu, trop certainement pour oublier. J'entendis un tir, enfin je crois me souvenir de ce tir dans les vapeurs de l’alcool. Je décidai de monter, mon arme à la main. Je forçai la porte d'un appartement, alors j'aperçus une femme qui hurla à ma vue, de terreur ou de fureur. Je n’eus pas le temps de réfléchir, que je pressait déjà sur la détente et tirai sur cette femme sans défense. Elle s'effondra aussitôt sur le sol, je vis alors de visage jeune et beau que je venais de tuer.
Mais il s'ajoutait à tous les autres, c'était la guerre, nous n'avions pas remord.”
Le vieil homme avait le visage crispé par le souvenir, les yeux plus fatigues encore, le teint livide. Il reprit son souffle et dit :
“J'allai pour partir, quand j'entendis derrière moi des pleurs d'enfant. Je me retournai et je vis alors un enfant pas plus vieux que toi, Mohamed, qui tenait une arme à la main et me visait, ses yeux bleus plein de larmes.
L'enfant me visait le doigt sur la gâchette, je ne pouvait bouger. Toute ma vie a défilé en cet instant, le visage de cette femme étendue et la vie que je venais de lui prendre, tous ces hommes que j'avais tués, tout le mal que j'avais fait. Cette arme et ces yeux plein de larmes, étaient pour moi comme le reflet de ma conscience.
L'enfant n'a pas tiré, il a baissé son arme. Je suis resté quelques instants immobile et pris conscience que dieu venait de me rendre la vie. Seul dieu pouvait arrêter cet enfant. Je suis parti. J'ai rangé mon arme et quelques jours plus tard j'ai pu rentrer chez moi. Je n'étais plus le même homme, j'avais une dette envers Dieu.
J'ai distribué mes biens aux plus pauvres, les veuves, aidé le village à se reconstruire sans ses hommes et les gens à revivre. J'ai passé ma vie à gagner de l'argent et à le donner aussitôt pour aider les gens qui m'entouraient certainement pour me racheter de cette soirée dans les rues sombres de Berlin.
Ses lèvres étaient sèches, mais le visage s’était détendu, il reprit :
“Sache, Mohamed, seul Dieu donne la vie. Prie chaque jour pour le remercier de sa bonté envers toi. Ce que l'horreur m'a appris je voulais te l'apprendre pour que tu n'aies jamais a souffrir de tes actes."
Sur ces dernières phrases, le vieil homme serra tendrement la tête de l'enfant et lui : "Mohamed je t'ai enseigné tout ce que la vie m'avait appris, ne l'oublie jamais. Maintenant, je peux mourir en paix".
Le lendemain matin, le petit Mohamed trouva son arrière grand-père, étendu dans son lit et sans vie.
Le visage de Mohamed était rempli de larme, il s'excusa de son émotion. Nous arrivions à Farab. Il gara sa voiture, une amie, certainement intime, nous conduisit à un magasin de photo pour imprimer la photo de nous deux devant le Mausolée du Sultan Sanjar, puis ils me déposèrent à un taxi pour les derniers kilomètres jusqu'à la frontière ouzbek.
Je traversai la frontiere sans grande difficulte au milieu de femmes hurlant et se disputant les bras charges de sacs et sous un soleil de plomb. Deux heures apres j'etais a Boukara, heureux de me reposer quelques jours apres cette course en Iran et Turkmenistan.